JDR, je t'emmerde

          L'Anthropocène s'affermissait, tandis que je m'enivrais de vodka pomme ou de rhum orange dans les péniches du Rhône. Qu'en avais-je à foutre des dérangements initiés par l'Homme alors que ma vie semblait éprise d'un chaos sentimental aigu et délirant ! Je n'avais pas pris acte des choses qui ne me laisseraient pas indifférentes plus de dix années après. Je prenais seulement conscience, encore que, lorsque le videur singeait l'attitude du gradé vociférant son ordre, lorsque l'autre grand dégingandé approchait trop de celle qui animait ma soirée et réanimait mon coeur, que j'existais aussi. C'était assez peu, mais plutôt commun. Avant que ma famille ne se répande dans un mode de vie déméritant, alors que ma grand-mère essayait de panser ses plaies pudiquement dissimulées, il y eut à l'opposé du Finistère qu'elle honorait John Davison Rockefeller. Un moustachu qu'un Européen aurait pu taxer de "sale turc" s'il avait vécu en Anatolie en 1917. Un milliardaire qu'on peut librement taxer aujourd'hui de sous-visionnaire du monde terrien. Qu'importe le courant portait loin et nous étions emportés sans se sentir concernés. J'ouvrais des capsules de bière, je rêvais de long-courriers qui m'emporteraient sous des cieux inconnus et sur des terres insondables. Je feuilletais les pages d'internet comme on dépense des rouleaux de papier-toilette, sans compter et sans se soucier. Parfois, un relan gênant envahissait ma gorge et ma tête, comme s'il avait existé une sub-âme avisée de tout ce qui allait, un jour, arriver. Arriver quand j'aurais eu l'imprévoyance de devenir père et mari. L'hypothèque que j'allais acceptée sur la vie de mon monde était affreusement injuste. Mais je n'étais pas le seul. Et nous étions les enfants de Ford, de Renaut, de Boss et plus tard des autres franchises qui se goinfraient sur le dos des puissances colonisées puis vainement décolonisées. Et nous ne voulions rien changer, mais avoir l'air.

L'âge des doutes pointant, je ne regardais plus mes pas sur le seuil des magasins comme avant. Je souffrais de rentrer et de paraître enchanté d'acquérir une nouvelle tenue, un nouveau style pour la saison commencée. Il n'y avait rien de plus gonflé de dénoncer le système établi en y occupant le centre, et c'est ce malaise profond qui me faisait de plus en plus tanguer. On avait cru que les temps seraient toujours les mêmes et que seules nos propres envies pouvaient les embellir. On avait la sensation que nous serions meilleurs que nos aînés et, au pire, que nos enfants deviendraient plus sages que nous. Quand bien même, les flots changeaient et le ressac opérait de nouvelles danses inconnues ; les espèces vivants se raréfiaient sous nos yeux tandis que les crossovers envahissaient les rues des villes ; les espérances se frottaient encore aux avides comportements. La belle affaire de cracher sur Rockefeller ou quelconque autre américain nanti, de nous plaindre des effets des guerre sur les marchés et des duels sans issues entre l'est et l'ouest, l'Asie et l'Occident. La valse de la Terre conduite par les puissances, nous n'y comprenions rien et nous nous désespérions à nous défaire de nos rôles de marionnettes.