Une fois, j'étais sur le parvis de cette église et je gueulais, je gueulais intérieurement sur ce monde qui ne me voulait pas. Le temps était gris à coup sûr. Le temps lavait les pensées des gens et lessivant, lessivant, finissait par les mener devant leur écran de télévision cathodique, minés et vidés. J'étais éloigné de ce parvis, mais j'avais résisté.
Je recommence. Comme je l'aurais fait sur une machine à écrire dont le carbone ne pourrait jamais avoir la précaution du "delete".
Je survole mes journées. Je plane au-dessus de ma vie laissée comme un voile qu'on expose, quand on vit enfant, en dehors de la voiture au vent, glissé dans l'écart que la fenêtre arrière baissée forme avec la jointure en caoutchouc de la tôle vernie. J'entends les frappes digitales sur le piano. Je salis mes chairs des souvenirs emmêlés et accumulés de mon père. Le visage bouillant de ma mère parfois reviens dans ce maelstrom de joies et de spleens. Nos moments s'environnent de parpaings dioxydés et poussiéreux, à peine colonisés par les toiles des araignées noires de ville. Il me revient ces longues soirées quand je gravais sur de claviers similaires mes errances de trentenaire, l'automne venu, et la possibilité des week-ends estivaux perdue. Les mots que j'accompagnais de vin ou de whisky coulaient comme des notes gnossiennes si simplement et coulaient. J'écrivais alors libéré de mes relations nouées. J'écrivais sans prétendre et sans méprendre mon quotidien. Puis, le sombre venait, la nuit noire cognait à la fenêtre et me frigorifiait. Je redressais le dos, crispais mes os et venais voir si le carreau ne serait qu'une dalle de caveau invisible ou s'il pouvait être la plus petite des loupes qui réveillerait l'infime vie sommeillant à cette heure. Je fixais à gauche souvent et tournais mon regard sur la droite pour trouver ce qu'il fallait. Et ces soirs-là, en croisant le rayon lumineux qui bataillait la pluie, en l'imprimant au sens vrai dans mon intérieur, je ressentais la force de me lever le lendemain. Puis.
Puis j'allais dormir.
Il m'est revenu cet instant ce soir quand je me suis senti aussi follement entouré que follement seul d'avoir perdu mes parents. On n'arrive pas à expliquer le deuil et l'oubli à des entourages aimants alors qu'on feint d'être philosophe avec les autres. Je regarde mieux qu'avant et moins saoul aussi les éclats qui animent les nuits. Les éclats qui rappellent qu'on doit rentrer sur terre et retrouver les vivants. Méritants et réels. J'ai pleuré d'être inconnu à cette époque, et ce soir, je pleure de ne plus connaître. Le chagrin efface comme la marée supprime. Je cherche dans tous les recoins de mes jours les souvenirs des sourires et des murmures, des rictus et des tics, des trucs que mon père faisait machinalement ; je cherche et en même temps je travaille et je réponds professionnellement à des pauvres questions sans crédit ; je cherche et je m'illusionne des échappées que créent les courbes de ma femme ; je cherche et seul le sommeil m'absout. La nuit, quand les jaunes, bleus et blancs électriques clignotent, quand l'alcool emplit le sang qui ravage mon cerveau, quand je dors profondément et qu'ayant atterris enfin à la suite d'une très longue journée, je vire avec des fantômes nouvellement apparus et je vis l'instant d'un oubli les plus chouettes secondes de l'année.