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dE tRAVERS
23 juin 2020

Voir sa femme crever dans ce garage poisseux,

     Voir sa femme crever dans ce garage poisseux, membre de la famille au même titre que l'ascenseur et la porte guillotine. Imaginer sa mère étendue sur ce bitume, reposant de tout son corps inanimé comme la poussière et a priori déjà vidé de son essence. Percevoir dans cette parenthèse de souffrance et de dégoût les girations bleutées des véhicules arrivés en trombe. Se tenir droit sur ses deux jambes alors que tout son être vacille dans un abîme inconcevable. Mimer par réflexe les attitudes requises dans ces moments précis. Commencer à en vouloir à la vie.

La rue qui m'a accueilli adolescent et révolté, étudiant et rêveur, actif et écorché, délaissé et saoul, heureux père inquiet, s'est tout d'un coup offert un autre rôle inattendu et âpre. Celui de nous accompagner, mon frère et moi, dans la disparition lente de ma mère et la déchéance inéluctable de mon père. La si bien nommée rue des fossés devenait en une fraction de soirée la rue des abîmés. Au loin, il avait vu s'effacer les lueurs bleues qui réveillaient les murs environnants sans mot dire, sous le choc qui paralyse les larmes. Et nous qui n'avions assisté à aucun de ses trois départs successifs – la disparition derrière la porte ; la disparition sous la voiture ; la disparition dans l'ambulance –, nous allions devoir en inventer pour accepter l'histoire de notre famille.

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