La route suit son cours. J'entends au loin

          La route suit son cours. J'entends au loin parfois les échos vieillis qui annonçaient il y a déjà deux mois la mort de ma mère. Ils se font plus lancinants que stridents. Mes agitations se concentrent dans les membres et les organes. Ils se dérèglent et reviennent à ce rôle attendu de me faire fonctionner coûte que coûte. Les gens m'entourent, il va de soi, au sens propre et au figuré. Ils m'encerclent aussi. Je ne vois plus que le sexe de ma femme comme solution à ma vie. Sa forme, son goût et ma soif me mobilisent pour sonder l'épicurisme qui demeure en moi. Si jamais je sors de la route, la rondeur de ses fesses immobilise ma trajectoire. Si je ne discerne plus finalement le niveau des choses, je scrute sans forcer les étoiles scintillantes d'une nuit d'hiver que des nuages soufflés dissimulent par jeu. L'Amérique se tord, l'Angleterre se tord, l'Iran se tord, la Syrie meurt, la Lybie se tord, l'Australie se meurt, la France se tord, la Turquie se tord, le Yémen se meurt. Et malgré l'absence de vie là-bas ou malgré la disparition d'une vie ici, rien ne trouble l'ordre démocratique de ce début d'année : nous irons bientôt tous jeter un bulletin pour élire notre représentant local, puis nous ne tarderons pas à douter et à se disculper d'y avoir cru. Puis, une fois ou deux, dans un élan de responsabilité civique, nous prétendrons qu'il faut bien tenter de donner l'impression du pouvoir à quelqu'un et que ce n'est finalement que cinq années offertes à certains pour se sentir si supérieurs aux autres, si représentatifs. Pendant ce temps, ma mère hantera toujours mes pensées et l'appartement de mon père. Et pendant ce temps, ma nulle foi en l'homme providentiel contrariera ma nulle foi en dieu. Ni chance, ni retournement. Nous n'avons que nos illusions pour avancer, et aussi, la gravure de nos amours dans nos chairs.