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dE tRAVERS
12 novembre 2019

Le cercueil

          Je suivais son cercueil dans une apesanteur de souffrance. Les âmes qui nous entouraient devaient briller, sans doute, et pourtant rien ne paraissait plus sombre que ce chemin à tracer du péron aux pavés. Ma mère partait devant mes yeux au loin et je n'avais plus de force pour la retenir et plus aucune raison non plus. Nos vies se défiguraient en une fraction de semaine. Nous devions d'abord se faire à l'idée générale de sa disparition soudaine et honteuse, ensuite il faudrait se rendre à l'évidence que chaque seconde de nos vies supporterait l'absence à jamais. Vidé par une étrange puissance, je me transportai de bras en bras, de poitrail en épaule, à la recherche d'un impossible ressort ou d'une improbable inspiration. Jamais les cloches ne m'étaient apparues si imperceptibles, jamais le bruit du moteur de la voiture ne m'avait semblé aussi léger qu'un souffle de faon. Les gens venus par pur amour et pure sympathie cognaient successivement mon existence sans le vouloir et, dieu sait (le sait-il seulement), au fur et à mesure ma consistance humaine se désintégrait. Un chagrin s'emparait insidieusement de nous. Il se lovait dans les recoins de nos errances. Il allait parasiter doucement nos fins de journées, nos nuits et nos week-ends. Les ombres dansaient bientôt au-dessus de nos têtes, les ombres bienveillantes et celles meurtrissantes.

Novembre étranglé par une absurde mort survenue et éternelle. Nous étions trois à errer sur le trottoir devant chez nous lors d'une nuit humide et blafarde que des lampadaires transperçaient à peine. La porte guillotine d'un garage était bloquée en position haute. Les professionnels de la mort et du sauvetage animaient le fond de scène, pathétique à souhait et tellement banale finalement. La goutte qui chuta sur ma joue annonçait alors un nouveau chapitre de ma vie. Ma mère était morte une première fois, elle mourrait une deuxième fois six jours plus tard. Et il fallait enfiler ce linceul mais continuer pour les autres, pour les siens en direction de la même fin.

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