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dE tRAVERS
19 juillet 2015

Six néons blancs distribuaient une lumière

     Six néons blancs distribuaient une lumière blafarde qui durait toute la nuit. Quelques longueurs plus loin, les maisons des familles aisées ne s’éclairaient plus ; l’été chasse les riches de chez eux et coincent les foyers modestes dans le même et perpétuel calendrier urbain. Devant ces six néons, les voies ferrées enfin pouvaient se reposer et ne plus porter les rames des trains passagers ou de marchandises. A cette heure où les six néons se distinguaient aussi bien du reste, les chacals erraient en direction d’un point de chute pour se finir, peut-être pour dormir, ou zonaient en quête d’une occasion qui couronnerait leur soirée ou en proie à un boueux ennui qui poussent à l’action, n’importe laquelle pourvu qu’elle soit énergique.

Je visualisais tour à tour les candidats à ces errances nocturnes : les jeunes adultes grisés par l’alcool et surexcités par les premiers dérapages – des consciences éphémères sans danger – ; les couche-tards solitaires et qui souhaitent vite regagner leur lit pour s’y ensevelir jusqu’au lendemain matin ; les malfrats aux manigances aiguisées au volant de leur voiture, ralentissant pour examiner la potentialité d’une malfaisance ; les frimeurs qui me semblaient encore et toujours les pires figurants des nuits d’été fonçant à toute allure dans leur berline.

De l’autre côté de ce panorama, deux âmes avaient réussi à échapper à ce monde vivace et répétitif, l’une flottait dans un univers que j’étais bien incapable de décrire, peut-être peuplé de formes qui m’étaient inconnues, l’autre écrasait et récupérait du mieux possible la fatigue accumulée. Mon fils qui organisait ses premiers instants de vie, mon épouse qui virevoltait entre débordements de joie et débordements tout courts ne connaissaient pas ses six néons lugubres.

C’était à ce moment de la nuit que rien ne se passa et qu’aucune chose ne justifiait que je squatte davantage le balcon en fumant quelques cigarettes. La lune ne se voyait pas de ce côté de la ville, les étoiles étaient dissimulées par d’épais nuages traversants. Rien ne se passerait, me dis-je, en préparant un repli vers les zones chaudes de l’appartement. Je fermais les portes vitrées, puis éteignais les lampes.

Exactement vingt-deux minutes après ce coucher, mon fils émit un cri assez caractéristique auquel nous ne prêtions point attention. Et dans la rue, une ombre fugace longea le mur de graffitis en laissant traîner une fracture de notre monde derrière elle : le sillon qu’elle traçait devenait froid, sans matière, éradiquant toutes les choses nécessaires pour concevoir une vie. Ce sillon invisible aurait pu avaler quiconque l’aurait emprunté, sans mot dire mais en souffrant inévitablement. L’ombre bifurqua sur la gauche, lévita quelque peu pour atteindre la voie ferrée et glisser le long des rails d’acier. Les ténèbres ont sans doute un goût nettement plus prononcé que nous autres pour l’errance et pour les voyages.

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