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dE tRAVERS
24 décembre 2014

Au son d’une basse lancinante, je scrutais tous

     Au son d’une basse lancinante, je scrutais tous les aménagements qui constituaient une gare, ses acteurs aussi. Je croyais deviner un couple adultérin en phase de retour à la situation normale, sans doute vacillante. Il y avait les individus toujours en proie à la panique quand ils sont chargés de vérifier trop de paramètres à la fois : l’horaire, l’heure indiquée par les horloges dont le design avait encore du coûter bien cher pour un rendu non consensuel, la place et le numéro de wagon indiqués sur le billet qu’ils regardaient deux fois pour être sûrs de ne pas confondre l’un avec l’autre. Les quais qui voyaient des milliers de vies passer plombaient nos humeurs quand on les foulait ; tout devenait lourd au moment de s’y aventurer, les réjouissances comme les spleens. Les pylônes inertes en apparence parés à délivrer une sacrée dose de volts pour nous conduire là où nous ne voulions pas aller, là où nous désirions nous rendre. C’était au choix, ça dépendait des cas et des fois. L’habillage des voies en cailloux calibrés ne donnait rien de naturel à ce décor grisâtre technologique. Il était loin le temps où le chemin de fer prétendait l’aventure.

Le paysage défilant encore une fois, je me demandais si à force d’avoir aimer prendre le train, je ne m’en étais pas lassé. On finit souvent pas exécrer ce qu’on a adoré, malheureusement. Je ne voyais plus le cerf et sa famille depuis longtemps. L’hiver avait encore une fois révélé son lugubre état à notre environnement. L’errance en ligne droite donnait le mal de voir. On traversait le temps et l’espace trop vite pour en faire partie et néanmoins on se sentait apte à juger les choses qui devaient se passer au moment éclair où elles étaient aperçues : un tracteur mobile au milieu des champs, une file de conducteurs coincés dans leur voiture et prisonniers des conneries radiophoniques, des salons allumés dans des nouveaux lotissements étriqués, des vieux poteaux de bois rachitiques tels les vestiges d’une civilisation révolue, des revêtements de bitume de ci de là fantômatiques, un ciel qui s’étendait au fur et à mesure que nous avancions.

Je rentrais pour la fête de Noël plus tôt, personne ne m’accompagnait encore dans le wagon. J’étais dans une atmosphère cotonneuse, loin de trouver mon bonheur et éloigné de la personne avec qui le déployer. Ni heureux, ni vaincu, juste agité par une multitude de questions auxquelles je ne trouverais guère de réponses. Beaucoup de trajectoires me paraissaient beaucoup trop droites, j’avais foi dans les imprévus et les virages. Mais dans notre société, c’était presque une hérésie de théoriser sur la valeur des accidents et l’infertilité des destins tracés.

Aucun signe ne vînt lustrer mon état. J’étais terne ce jour. En y réfléchissant un peu, je me souvenais que la dernière semaine de décembre est à double tranchant pour nous, les membres d’une société moderne occidentale. Comme une lame affûtée et brillante, elle tranche dans nos émotions et nous laissent libres de préférer la part magique ou la part dramatique. Concentré, je regardais encore une fois à l’arrêt le théâtre dans lequel je m’étais senti capable de jouer : les lampadaires venaient de s’allumer. J’avais envie de pleurer. C’était comme une tempête contenue dans une bouteille en verre : je pouvais continuer encore comme cela, mais il se pouvait qu’à la suite d’une inattention, d’une maladresse, d’un geste involontaire, mon enveloppe se brise irréversiblement et que la rage me quitte pour saccager tout sur son passage.

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